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Présentation de notre motion de censure - Charles de Courson

Présentation de notre motion de censure suite au recours à l'article 49 alinéa 3 sur le projet de loi de réforme des retraites par Charles de Courson le lundi 20 mars à l'Assemblée nationale.


"Madame la Présidente,

Madame la Première Ministre,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Madame la Présidente de la commission,

Madame la Rapporteure générale,

Mes chers collègues,


Le groupe LIOT a pris l’initiative de cette motion de censure parce que nous défendons plusieurs valeurs qui sont attaquées par ce texte sur les retraites :

Nous défendons une nation française décentralisée, politiquement et socialement ;

Nous défendons une société solidaire qui aide chaque citoyen à trouver sa place ; une république sociale telle qu’inscrite dans la Constitution ;

Nous défendons une société libre qui permet à chacun de choisir sa vie, y compris au moment de sa retraite.

***

Au début de l’examen du projet de loi sur les retraités, nous avons parlé de déni de démocratie.

Depuis, le Gouvernement a usé de toutes les manœuvres possibles pour contourner et contraindre le débat parlementaire, pour tordre les procédures.

L’Assemblée nationale, seule représentant du peuple français n’aura jamais voté sur ce projet de loi, qui cristallise les tensions, les inquiétudes et la colère de nos concitoyens.

Je veux insister sur la gravité de cet instant : notre décision de déposer une motion de censure n’a pas été prise à la légère.

Notre groupe vous avait mis en garde contre la tentation du passage en force. Dès l’automne, nous avons appelé à de vraies négociations avec les partenaires sociaux.

Nous avons appelé à une grande conférence sociale sur le travail et le financement du système de retraites.

Nous avons toujours joué le jeu de l’écoute, et du dialogue. Notre groupe n’a d’ailleurs pas voté les précédentes motions de censure.

Nous avons pris toute notre part pour éviter de fracturer notre pays plus qu’il ne l’est déjà.

Mais ce texte a marqué la mort des engagements pris en juillet dernier. Madame la Première ministre, relire aujourd’hui votre discours de politique générale est cruel. Je vous cite : « Nous mènerons pour chaque sujet une concertation dense. Nous aborderons chaque texte dans un esprit de dialogue, de compromis et d'ouverture ».

Vous avez échoué à rassembler ; échoué à convaincre. Alors, vous avez cédé à la facilité et évité la sanction du vote.

D’autant qu’en réalité, rien ne vous obligeait au 49-3. Le courage, le respect des institutions, le respect de vos engagements auraient dû conduire au vote. Nous voulions voter, même les groupes de la majorité voulaient voter.

Ce vote, vous l’auriez très probablement perdu : mais c’est la règle en démocratie.

***

Madame la Première Ministre, vous avez décidé d’engager votre responsabilité. Nous avons décidé de prendre les nôtres, avec cette motion de censure.

Pour la déposer, nous avons reçu le concours de députés d’autres groupes politiques. Et je tiens à tous les remercier.

*

Nous avons déposé cette motion de censure car vous avez clairement détourné l’esprit de la Constitution.

Vous avez fait le choix de recourir à cette fausse loi de financement rectificative de la Sécurité sociale, dès janvier, alors que la loi initiale était à peine votée.

La notedu Conseil d’État ne nous a pas été transmise. Nous savons que certains des articles du texte sont de véritables cavaliers sociaux : c’est le cas de l’index séniors, ou de dispositions relatives à la pénibilité ou à l’AGIRC-ARCCO.

Ce que je dis ici n’est ni anecdotique, ni technique. Vous avez délibérément choisi cette procédure pour préparer un éventuel passage en force :

Une procédure qui facilite le recours à un onzième 49-3 en un an.

Une procédure qui encadre et contraint les délais d’examen, rendant impossible tout débat serein et approfondi.

Résultat : l’Assemblée nationale n’a examiné que deux articles. Elle a d’ailleurs, à une large majorité, rejeté l’article 2, malgré tout transmis au Sénat.

Au Sénat, justement. Vous avez fait le choix de recourir au vote bloqué du 44-3 pour écourter les débats.

Et tout cela pour, in fine, nous priver d’un vote sur le texte issu de la CMP.

Comment accepter un tel mépris du Parlement ?

Comment accepter de telles conditions d’examen, sur un texte qui aura des incidences durables sur la vie de millions de nos compatriotes ?

Si notre motion venait à être rejetée, nous userions de notre dernière arme : le recours au Conseil constitutionnel. Celui-ci tranchera en droit.

*

Oserais-je par ailleurs vous rappeler que ce projet de réforme des retraites n’a pas de légitimité démocratique.

Contrairement à ce que dit le Président de la République, les Français ne l’ont pas élu pour repousser à 64 ou 65 ans l’âge légal de départ à la retraite.

Beaucoup d’entre nous ont voté pour lui au second tour par défaut.

Quant aux élections législatives, au premier tour, seuls 13% du corps électoral ont voté pour des candidats soutenus par le Président de la République. Et au second tour, vous n’avez obtenu que 250 sièges pour former ici une minorité présidentielle.

Alors qu’il fallait un vrai dialogue avec les forces politiques et les partenaires sociaux, vous n’avez proposé aux organisations syndicales qu’un semblant de concertation. Ajoutant au déni de démocratie politique, un déni de démocratie sociale.

Le Président Macron, après sa réélection, reconnaissait que « nombre de Français » avaient voté pour lui, non pour son programme, mais « pour faire barrage à l'extrême-droite. »

Et de nous promettre, je le cite : « J'ai conscience que ce vote m'oblige pour les années à venir ». Qu’est-il advenu de cette promesse, Monsieur le Président ?

***

Et qu’en est-il du fond de cette réforme ?

Rappelons que ce projet de loi a été vendu autour de deux arguments : la justice sociale ; et le financement durable de notre système de retraite.

Votre premier argument ne tient pas, vous le savez au fond de vous. Le recul de l’âge légal de 62 à 64 ans cristallise en réalité toutes les injustices.

Les 17,7 milliards d’euros d’économies attendues sont essentiellement portés par les plus modestes.

Ils portent sur ceux qui auront à travailler plus, sans voir leur pension progresser ; sur ceux qui ont commencé à travailler tôt, qui exercent souvent des emplois pénibles, précaires ; ceux qui ont des carrières hachées ; et donc principalement les femmes.

Ce sont toutes ces personnes qui ont été peu reconnues lors de la crise sanitaire, et qui subissent maintenant l’inflation de plein fouet.

Cette réforme augmentera la précarité de nos compatriotes qui, après 55 ans, sont déjà poussés vers la sortie, le chômage ou le RSA.

Conscients des inégalités que vous aggravez, vous avez tenté d’atténuer l’injustice en introduisant des mesures cache-misère, mal calibrées, quitte à aboutir à des usines à gaz :

La promesse de pension minimum à 1 200€ pour tous n’est qu’une illusion, voire un mensonge révélé par l’obstination de nos collègues, à demander la vérité.

Après nous avoir dit qu’il n’avait aucun compte à nous rendre, le ministre a reconnu que la mesure ne toucherait pas 200 000 bénéficiaires, mais entre 10 000 et 20 000 personnes chaque année.

Autre tour de passe-passe : celle de faire croire que nos concitoyens qui ont commencé à travailler avant 21 ans ne cotiseraient jamais plus de 43 ans. Tout ceci est faux.

Les conditions pour bénéficier du dispositif « carrière longues » sont bien plus complexes. La réalité, c’est que dans deux tiers des cas, ces personnes devront cotiser plus de 43 annuités.

*

J’en viens à présent à votre deuxième argument : le redressement des comptes de la branche retraite !

Avant tout, je rappellerai les insuffisances de l’étude d’impact qui ne permet pas de mesurer les incidences de cette réforme.

L’insincérité budgétaire de ce texte doit être soulignée. Ainsi, les 17,7 milliards d’euros d’économies ne tiennent pas compte des effets dus à l’accroissement des dépenses sur l’assurance maladie ; le RSA ; les allocations chômage, l’invalidité… que les spécialistes estiment entre le tiers et le quart des économies à réaliser.

Et à l’issue de l’accord trouvé en CMP, les dépenses supplémentaires s’élèveraient à 7 milliards.

Tout cela mis bout à bout, il est permis de penser que votre réforme ne pourrait finalement aboutir qu’à un milliard d’économies par an, d’ici à 2030.

Une France au bord du précipice pour 1 milliard ! La priorité serait plutôt de s’attaquer au déficit de 155 milliards du budget de l’État.

Ainsi, non seulement, vous n’arrivez pas à atténuer l’injustice de cette réforme ; mais par ailleurs, vous n’assurez pas non plus l’équilibre du système de retraites. Si bien qu’au final on s’interroge : « tout ça pour ça ? »

Le Président de la République invente un dernier argument :il faudrait imposer la rigueur budgétaire pour ne pas perdre la crédibilité de la France sur les marchés financiers. Mais c’est précisément le recours au 49-3 et la crise politique et sociale qu’il provoque qui peut affoler les marchés, et faire exploser le coût de notre dette.

***

Madame la première Ministre, nous vous avons proposé une porte de sortie : retirer votre projet et nous remettre au travail.

Aujourd’hui, je veux vous dire notre inquiétude. Nous voyons un pays qui se déchire ; des institutions bloquées ; une démocratie en danger.

Aujourd’hui, nous avons besoin de retrouver le chemin de l’écoute, du dialogue, du respect. Respect de nos concitoyens ; Respect de nos institutions ; Respect de nos corps intermédiaires.

Madame la première Ministre vous avez fait le choix inverse, celui de l’entêtement.

Paradoxalement, vous avez dit jeudi à cette tribune : que le vote sur notre motion de censure équivaut à un vote sur votre réforme des retraites.

J’en appelle donc à vous, chers collègues. Nous étions une majorité, jeudi dernier, à vouloir voter contre ce projet de loi.

Il n’y a plus qu’un moyen pour repousser cette réforme injuste des retraites.

Il n’y a plus qu’un moyen pour nous opposer à ce déni démocratique et à cette injustice sociale : c’est d’adopter cette motion de censure.

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